Diffusion Sélective de l'Information Du 8 au 18 novembre 2021
Gestion des déchets, innovation et territoires Retours d'expériences et recherche contextuelle
Introduction L'émergence d'une innovation et son développement, sa réussite ou son échec, sont tributaires du contexte, si ce n'est contingents à ce contexte; dès lors, la réussite d'une transposition dans d'autres territoires n'est pas du tout évidente. L'expérience montre que les tentatives de greffes de certaines technologies ou autres solutions conduisent à de nombreux échecs. Le vocable de technologie « appropriée » mérite en tous cas des précisions; car il y a la technique et « le reste », qui ne saurait être négligé, alors qu'il est trop souvent considéré comme une simple« externalité », économique, sociale ou environnementale. A ce sujet, la gestion des déchets apparaît comme un thème particulièrement intéressant dans la mesure où se sont précisément la "désappropriation" et le rejet qui fondent le statut de déchet. Le déchet ne renvoie pas seulement à une valeur économique nulle ou négative, mais à un ensemble complet, complexe (un système) de valeurs socioculturelles. Il faut dès lors composer avec les valeurs, les cultures, les croyances, considérer le mental et même remonter à l'archéologie du mental. Un lien existe entre le déchet, l'espace-déchet et « le déchet social ». Comment passer du rejet au projet ? Le déchet présente un caractère ambivalent: rebut ou ressource ? La réponse varie suivant le contexte et le moment, et ce qui est déchet pour les uns peut être ressource pour d'autres. Le déchet est un « peut-être ». Suivant une vision optimiste, c'est une ressource en attente d'utilisation; sa persistance signifie qu'une innovation, peut-être à notre portée, n'a pas encore eu lieu. On peut faire état de l'existence de ressources non utilisées ou mal utilisées: d'une part des ressources matérielles, liées à certains flux ou patrimoniales (y compris environnementales), d'autre part des ressources humaines, qu'il s'agisse de demandeurs d'emplois ou d'autres compétences (par exemple celles de retraités). Cette conjonction ne peut-elle être utilement exploitée ? Innover, ce peut être « faire du neuf avec du vieux », recomposer ou réaménager l'existant. Aux innovations à caractère technologique s'ajoutent des innovations sociales, y compris dans l'organisation, et il convient également de considérer leurs conjugaisons. Les démarches planificatrices conduisent trop souvent à qualifier d'irrationnel ce qui correspond à des rationalités différentes. Il convient de mieux connaître et comprendre les logiques d'acteurs, leurs intérêts et leurs motivations et, au-delà, d'appréhender et d'analyser les « configurations » et le système d'acteurs, et dès lors de pouvoirs. S'agissant de la gestion des déchets, on peut relever dans les pays en développement les caractéristiques suivantes: une collecte officielle (formelle) partielle, pour partie complétée par le recours d'habitants à des charretiers privés; des mises en décharges « brutes » ou mal contrôlées des déchets collectés; l'importance du chiffonnage (récupération informelle) de rues ainsi que sur les décharges; la part très importante des matières organiques fermentescibles; une organisation déficiente et de grandes difficultés à mobiliser des ressources financières pour améliorer la situation.
1. De la collecte des ordures ménagères à leur traitement Faudrait-il supprimer la collecte informelle? Le risque est de passer d'une collecte informelle, assortie de récupérations, qui s'autofinance, à une collecte municipale très coûteuse. Une alternative à la collecte municipale est susceptible de résider dans une coordination et une professionnalisation progressive des petits opérateurs de collecte. L'enlèvement vise à débarrasser les habitants de leurs déchets, mais pose la question du devenir du produit de la collecte. Dans les Pays en développement (Ped), et plus globalement dans le monde, la mise en décharge reste la solution la plus répandue. Dans les Ped, il s'agit le plus souvent de décharges« brutes », ou mal contrôlées, nuisantes et polluantes, sur des sites non adéquats, ou qui le deviennent en raison du développement urbain. L'ouverture de nouveaux sites, plus éloignés, se heurte de plus en plus à l'opposition des collectivités d'accueil. « Tout le monde nous réclame pour assurer l'enlèvement, mais personne ne veut de nous lorsqu'il s'agit de décharger le produit de la collecte », se plaignent les entreprises d'enlèvement. Parmi les alternatives à une mise en décharge figurent notamment: l'incinération (nécessitant des investissements élevés et un savoir-faire important; potentiellement polluante);la récupération et le recyclage, à différents niveaux et suivant diverses modalités; le compostage (ou le tri-compostage).
2. Les articulations entre récupération et élimination A chaque catégorie de déchets sa filière de traitement (autant que possible de valorisation), ce qui nécessite un tri, suivant diverses modalités possibles: - tri en amont ou en aval, à divers stades: pré collecte, collecte, dépôt intermédiaire, usines de traitements divers, jusqu'à la décharge; - tri manuel ou (plus ou moins) mécanisé, voire automatisé; - tri par la collectivité locale elle-même, en régie directe, ou par une entreprise privée à laquelle elle délègue des pouvoirs, ou par des récupérateurs privés, relevant du secteur formel ou du secteur informel.
Le chiffonnage de rues Dans les Pays en développement (Ped), le chiffonnage de rues, ainsi que sur décharges, est fortement pratiqué. Devrait-on l'interdire ? Dans l'affirmative, comment faire respecter cette interdiction ? Le chiffonnage de rues est le fait de ramasseurs occasionnels, souvent avec un simple sac, ou de ramasseurs permanents, parfois avec une charrette, et beaucoup opèrent la nuit. Les arguments sanitaires en faveur d'une interdiction n'ont guère de poids pour ceux qui vivent dans des conditions misérables, en limite de survie. S'y ajoutent des raisons de sécurité, à l'encontre de ces ramasseurs, surtout ceux qui vaguent la nuit…
A propos des coûts comparatifs En matière de récupération, un atout économique des Ped réside dans le faible coût de la main d'œuvre, comparativement aux pays riches. Cependant, ces derniers ont d'autres arguments en faveur de la récupération: le coût évité d'élimination est élevé (surtout dans le cas d'une incinération), alors qu'il est faible dans les Ped ; de plus, la mise en décharge a été rendue plus difficile par des interdictions réglementaires (en France, elle doit être réservée aux déchets dits « ultimes ») et plus coûteuse par l'application de surtaxes; dans les pays de l'OCDE, le principe de responsabilité élargie du producteur (REP) est de plus en plus appliqué ; les producteurs, fabricants ou distributeurs, doivent contribuer financièrement aux coûts occasionnés par l'après-usage des produits qu'ils mettent sur le marché. Ce principe, appliqué notamment aux emballages, aux piles, aux équipements électriques et électroniques en fin de vie, permet de drainer de nouvelles ressources financières. Il s'agit donc, outre d'une innovation à caractère réglementaire, d'une innovation financière dans le domaine de la gestion des déchets. Ce principe est assorti de taux de recyclage et de récupération à atteindre. S'y ajoutent des objectifs relatifs à la prévention : prévention qualitative relative aux substances dangereuses contenues et, de façon plus timide, réduction à la source des quantités de déchets. Cette situation et ces dispositions risquent toutefois d’inciter les industriels à exporter les déchets, ou les matières recyclables, plus ou moins triées, vers des Ped, le cas échéant en dépit d’interdictions réglementaires; Dans les Ped, ou pour le moins dans les Nouveaux pays industrialisés (Npi), l'application du principe de la REP est envisageable mais des réticences se manifestent, dans la mesure où cette application, qui bien sûr ne rencontre pas les faveurs des industriels et des commerçants concernés, peut avoir des incidences négatives vis-à-vis du développement industriel du pays, surtout si des pays concurrents ne l'appliquent pas à leur tour. Parmi les produits susceptibles d'être visés par la REP, on peut en particulier citer le cas des sacs plastiques de caisse ; très légers, ils s’envolent facilement ; on les retrouve dans la nature, au bord des routes (en Afrique du Sud, on les appelle plaisamment « les marguerites des bas côtés »), dans les fossés et plus encore autour des décharges, où ils s’accrochent à la végétation épineuse et forment de larges ceintures plastifiées. Ils ne sont pas seulement sources de nuisances esthétiques ; des animaux les ingèrent, qu’il s’agisse d’animaux d’élevage dans les champs ou de mammifères marins, et en meurent. La mise sur le marché de ces sacs est de plus en plus contestée de par le monde. Pour le Maghreb, l’alternative suggérée réside dans un retour au couffin traditionnel.
Le compostage Les premières usines dites «de fermentation artificielle en cellules closes » ont vu le jour et se sont développées en Europe, notamment en Italie; l’enjeu consistait à accélérer le processus naturel de compostage. La part croissante des matières non fermentescibles a toutefois rendu nécessaire, en complément, un triage ou un criblage des déchets, pour limiter les « refus de compostage ». Les coûts de compostage et de triage, ainsi que de transport, la médiocre qualité des composts produits, le caractère saisonnier de la demande et la concurrence croissante des engrais chimiques ont entraîné une régression du compostage. A l’heure actuelle, dans les pays du Nord, la problématique consiste surtout à s’efforcer de développer d’une part la collecte sélective, en porte à porte ou par apports volontaires en déchèteries, des matières compostables, d’autre part le compostage individuel, là où les habitants disposent d’un jardin. Les Pays-Bas se sont fortement engagés dans ces développements. Une alternative réside dans les usines de méthanisation, pour produire du biogaz et le valoriser, le compost n’étant alors qu’un sous-produit de la méthanisation. Cependant, la valorisation de ce dernier n’est là encore possible que si un tri (plus ou moins poussé) des fractions non biodégradables (y compris de substances dangereuses) est effectué, en complément. L’Allemagne compte déjà un nombre assez élevé d’usines de méthanisation.
3. L’appropriation par les habitants Les limites de l’exogène Les modèles importés, ou exogènes, qu’il s’agisse d’innovations technologiques ou de modèles d’organisation sociale, sont limités. Il n’y a pas de panacée universelle; les systèmes prétendus universels se traduisent le plus souvent par « des éléphants blancs » ou « des usines orphelines », à défaut d’adéquation et d’appropriation; s’y ajoute le refus d’un néo-colonialisme. La foi dans la puissance de pénétration d’un modèle universel se heurte aux réalités de terrain. A l’évidence, la politique de l’offre d’équipements se traduit par des visions déconnectées du terrain, en raison d’une méconnaissance du contexte, du milieu d’application, des aspirations sociales et des besoins locaux, de la diversité des espaces géographiques et sociaux. Des technologies appropriées nécessitent de caractériser les déchets, leur composition, et les espaces. Or, les technologies proposées sont souvent supposées marcher toutes seules. Il en résulte également des problèmes majeurs de maintenance. Le mimétisme vis-à-vis de technologies venues de pays industriels riches s’avère inopérant. Il en est de même pour les aspects sanitaires: la gestion des déchets renvoie certes à des questions d’hygiène, mais il en résulte des normes importées et des discours mimétiques. En fait, l’épidémiologie n’est pas seulement une science biomédicale, mais aussi une science sociale. Alors que la propreté dépend de l’œil qui regarde, l’hygiène, coupée de sa base sanitaire, devient un « hygiénisme »; propreté pour qui ? Peur des microbes ou peur des désordres ? Derrière les considérations d’hygiène se cache un type d’ordre que l’on veut imposer, et on risque aussi de confondre santé avec modernité. Le projet proposé n’est pas seulement celui d’une ville dont les beaux quartiers sont propres et nets, mais celui d’une ville (y compris ses zones périphériques) socialement intégrée.
De l’exogène à l’endogène Les discours du type « Fermez le couvercle de la poubelle et nous ferons le reste » s’avèrent intenables. Les responsables municipaux ont absolument besoin d’une participation des habitants, du concours de la société civile. Or, les appels au civisme n’ont que fort peu de chances d’être entendus dans des sociétés où l’Etat est omniprésent et où les efforts les plus importants sont demandés à ceux qui sont les moins aptes à les fournir. Entre les pouvoirs publics et la société civile, une alliance est à construire. Pour qu’il y ait propreté, il faut qu’il y ait appropriation sociale des espaces collectifs, qu’il s’agisse de la rue ou du quartier; sinon, c’est l’espace « de personne », ou bien du Makhzen (pouvoir central au Maroc); en corollaire, c’est à lui de s’en occuper. La non-appropriation se traduit par une absence d’entretien et par des rejets « sauvages »; les « points noirs » se multiplient et grossissent, car « l’ordure attire l’ordure »; Pour la réussite d’une innovation, on ne saurait faire table rase de l’existant; ignorer les pouvoirs locaux (y compris coutumiers), les mentalités et l’histoire. Il faut s’efforcer de promouvoir un développement endogène; les connaissances locales et les capacités endogènes d’auto-organisation ne doivent pas être sous-estimées. On peut souligner l’importance des relations de voisinage. Le derb (la ruelle bordée d’habitations et de commerces), de même que l’intérieur du bidonville (y compris les espaces internes de circulation), sont généralement propres, parce qu’il s’agit d’espaces faisant l’objet d’une appropriation collective; s’y ajoute une surveillance réciproque entre voisins. Au déchet est associé un « espace-déchet »: espace en déshérence, terrain vacant, vague, dont la propriété est floue ou non revendiquée, si ce n’est l’espace public. Force est de souligner le lien, y compris étymologique entre propreté et propriété. Notamment, il faut renforcer le lien social, revivifier l’esprit communautaire, et organiser des journées de nettoyage. On peut envisager, suivant des démarches ascendantes, un élargissement progressif des cercles de proximité, et des innovations qui se nourrissent, à la base, d’insatisfactions.
Pour une gestion plurielle La décision ne devrait pas être conçue comme un acte discrétionnaire à l’état pur, mais comme le résultat d’un processus marqué par la transparence et la concertation. Les fonctions et objectifs des pouvoirs publics devraient dès lors consister à mettre l’exogène au service de l’endogène, à libérer, faciliter et favoriser les initiatives locales, à accompagner les changements, à rechercher des espaces de dialogue, à aménager les interfaces entre acteurs suivant un rôle de médiation sociale, à jeter un pont entre des acteurs aux motivations diverses, aux intérêts particuliers et aux logiques variées, en veillant à l’intérêt général. Le processus de décision évoqué reste à construire; la concertation nécessite d’avoir des interlocuteurs et des partenaires.
4. Conclusion A la lueur des expériences ici examinées, il n’y a pas de « solution miracle » en matière de gestion des déchets. Ainsi, il devient nécessaire d’adopter une théorie et une pédagogie qui procèdent par encastrement. De cette manière, les relations associant les acteurs et leurs territoires sont prises en compte. Dans ces conditions, cette nouvelle manière de voir substituerait au triptyque traditionnel « déchet, espace-déchet et déchet social », un nouveau triptyque: « déchet valorisé, espace réhabilité et intégration des personnes en difficulté sociale». Une gestion des déchets socialement intégrée devrait s’appuyer sur une véritable ingénierie sociale. A ce sujet, comme nous le notions, il ne saurait y avoir de recette toute faite ; le processus de développement durable nécessite de conjuguer l’économique et le social avec l’environnemental, sachant que l’environnement constitue également un champ d’exercice de forces sociales. Enfin, on soulignera l’intérêt d’une capitalisation des expériences, et du renforcement d’une coopération Sud-Sud ...»-Source: https://www.cairn.info/revue-marche-et-organisations-2008-2-page-92.htm Cliquez ici Par Gérard Bertolini, Mustapha Brakez
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Elaboré par: Lobna ZOUAOUI, Ingénieur Data, Responsable Veille Stratégique et Technologique & Community Manager- veille@citet.nat.tn
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